LES ARGENTYPES

Depuis une vingtaine d’années, Jean-Marie Fadier développe les argentypes, un projet artistique de photographies abstraites. Créés sur le plateau de l’Aubrac de juin à octobre, les argentypes sont réalisés sur du papier photosensible argentique noir et blanc que l’artiste expose directement à la lumière du jour sans utiliser d’appareil photo.

Jean-Marie Fadier réalise des photogrammes sans référent faisant apparaître des couleurs sans négatifs couleurs ni filtres, à partir des seules propriétés physico-chimiques des papiers sensibles. Ils sont le résultat d’une captation liée conjointement à la lumière, aux conditions climatiques et à l’intervention de l’artiste, selon un protocole où se combinent hasard et maitrise du geste. A l’opposé d’une « photographie classique  », les œuvres réalisées sont totalement abstraites, uniques et non reproductibles. L’approche expérimentale adoptée par l’artiste interroge directement le medium photographique.

« J’ai recherché la simplicité, le délaissement de l’outil, de la machine, de l’appareil. La richesse créative de l’argentype témoigne : l’outil ne libère pas l’homme mais à l’inverse, l’enferme dans sa technique jusqu’à la faute. Cette ambivalence me fascine. Les argentypes permettent d’accéder au médium photographique argentique, de mieux le comprendre, de le façonner ; non pas en rejetant le numérique, mais tout contre lui, le provoquant parfois sur son propre terrain. Le virtuel tient pour moi du fil de fer barbelé : je ne parviens pas à m’ôter cette image de la tête. Cela reste difficile à expliquer. Il est vrai que se pose la question de l’exercice de la liberté lorsque l’ensemble des opérations est programmé, automatisé » Entretien avec Monique Sicard 2010 [extrait]

Retournant en amont de la prise de vue, Jean-Marie Fadier envisage la possibilité d’une photographie construite en dehors de son système de représentation. Ne souhaitant garder que le matériau, le dispositif et le geste et en s’affranchissant du référent, il a cherché à retrouver une liberté de création et à proposer un nouveau regard sur l’image photographique.

« C’est en explorant quasiment un à un tous les matériaux qui constituent la surface sensible photographique, leur chimie, les lumières, en les confrontant dans des expérimentations les plus improbables, que se sont imposés le concept et la fabrication de l’argentype  …j’ai préféré le face-à-face brut, sans interface, mode d’emploi ni programme » Entretien avec Monique Sicard 2010 [extraits]

Variés dans leur format, leurs formes et leurs couleurs, les argentypes constituent l’aboutissement du projet artistique de Jean-Marie Fadier en obligeant à modifier les habitudes du regard sur la photographie. En s’affranchissant des codes convenus de la photographie (référent, automaticité, matrice, reproductibilité), les abstractions de Jean-Marie Fadier repoussent les frontières de la photographie argentique tout en nous rappelant que le numérique ne constitue pas l’unique voie contemporaine de la liberté du traitement de l’image. Au-delà d’interroger le medium et la technique photographique, les argentypes questionne la place même du spectateur en lui offrant la possibilité de créer, à son tour, une vision personnelle de l’image. Les œuvres prennent alors une dimension intemporelle et universelle